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Le Règne Animal : mythologie & psychologie

  • Photo du rédacteur: RG
    RG
  • 17 oct. 2024
  • 5 min de lecture

Dernière mise à jour : 11 mai

Dans une France rongée par mystérieuse épidémie touchant la population et poussant de plus en plus de personnes à se transformer en animaux, François (Romain Duris) cherche à tout prix à sauver sa femme, Lana, qui s'est échappée de la clinique spécialisée pour les mutants dans laquelle elle était internée. Accompagné de son fils Émile (Paul Kircher) et de son chien, le père s'engage dans une véritable battue à l'insu des autorités tandis qu'Émile tente de lutter de son côté contre son propre mal.


Attention, cette critique contient des spoilers !


Avec Le Règne Animal, Thomas Cailley réalise un époustouflant thriller à fort caractère psychologique, ambitieux par son originalité et des risques de représentation qu'il entreprend. Faisant preuve de beaucoup de sensibilité, le film, sorti en 2023, est une vraie réussite qui obligerait presque de nombreux réticents à s'agenouiller modestement afin de prononcer un mea culpa au cinéma français d’aujourd’hui.



Filmer la monstration avec ambition


Commençons par chercher la petite bête. À quel genre ou registre le film pourrait-il bien se rattacher ? De la science-fiction ? Du fantastique ? Il est certain qu'il est aujourd'hui fort peu commun qu'un film français contemporain s'engage dans le domaine épineux du surnaturel, voilà quelque chose d'à première vue plutôt prometteur, mais que l'on pourrait craindre soit un cuisant échec qui ne ferait que décevoir nos attentes. Et pourtant, la promesse du spectacle est bel et bien tenue et ne s'avère aucunement gâtée par une entreprise qui pourraît paraître absolument démesurée. On tire premièrement notre chapeau aux effets spéciaux qui sont tout bonnement impeccables, que cela soit au niveau du maquillage ou des costumes. Les personnages sont grimés de manière crédible tant les matières sont travaillées avec soin : c'est ainsi que se donnent à voir de la chair qui saigne, des os qui saillent sous la peau, des plumes qui volètent, de l’écorce de bois qui écorche. Happé par cette stimulation sensorielle qui ravit l'oeil, on pourrait presque se sentir toucher cette grande variété de textures par le regard. La monstration des « bestioles », dévoilées au grand jour et non cachées par un tour de passe-passe narratif visuel, révèle une grande diversité de ce règne animal de l’ombre. Alors que l'on pourrait être tenté de craindre que les créatures ne soient réduites qu’à de simples objets esthétiques (crainte justifiée par le fait que dans la bande-annonce, on nous montrait surtout de belles images de l’Icare, l’homme-oiseau, qui se faisait dès lors mascotte de cette nouvelle mythologie), une panoplie de monstres effrayants et certes peu reluisants se donne à voir, dépliant un large éventail de chimères. Aucune information ne nous est délivrée sur ce nouveau bestiaire de mutants, pas de catégorisation d’espèces, voilà la vie dans ce qu'elle a de plus primaire. Pas de métamorphose non plus, et ce qui était peut-être plus sage pour éviter l'écueil du kitsch. La forêt, sorte de jungle des landes du sud, de zoo désenclavé, est dépeinte comme un habitat sauvage dotée d'une luxuriante verdure où grouillent toutes sortes d’êtres. Les feuillages des arbres composent un paysage sauvage sublime, presque apocalyptique.


Réflexion sur la nature humaine


Le Règne Animal est poignant car il superpose à son récit une dénonciation de la discrimination entre espèces et l’ostracisation de l’étranger, qui ne sont d'ailleurs pas sans rappeler d’un côté la cause animaliste et de l’autre, la condamnation du racisme, de la xénophobie ou tout simplement du rejet de l’autre et de l'étranger. Dans le film, les causes de ce phénomène d'animalisation - une anthropomorphisation - restent inexpliquées. Il nous est seulement dit que c’est quelque chose de récent, ce qui revient à dire que c'est un symptôme de la modernité. De là, on voit combien l'oeuvre renoue avec de vieilles interrogations philosophiques La société est-elle l’ennemie de l’homme ? L’homme est-il voué à (re)venir à son état de nature ? Le film semble dépeindre avec justesse la bestialité de l'homme et sa capacité à entraver sa propre liberté. De manière assez intéressante, la mutation est décrite comme par les médecins comme une pathologie : les victimes sont hospitalisées et subissent des chirurgies, aussi il est difficile de ne pas relier cela aux maladies mentales, soit à ce qui relève de l’ordre psychologique. Considérées comme de véritables folles aliénées, des anomalies, les "bestioles" sont traitées comme du bétail et internées dans des établissements de soin. Serait-ce là une critique cachée des hôpitaux psychiatriques et du traitement infligées aux personnes souffrant de maladies mentales ? Tout comme la transformation de la population est un phénomène récent, on sait que les maladies mentales sont extrêmement présentes, aujourd'hui sans doute plus que jamais. Le thème des troubles mentaux est par ailleurs abordé dans le film, à travers le personnage de Nina (Billie Blain), l'amie d'Emile qui souffre d’entre autres de troubles de l’attention. Elle se sentira très proche d’Emile magré sa mutation et l’aimera au-delà de sa singularité. Cette hypothèse de l’assimilation au domaine psychologique pourrait également se justifier dès lors que l’on observe chez les hommes-animaux l’affaiblissement progressif - jusqu’à la perte totale - de capacités cognitives. Fix, sorte de stryge amie d’Emile, perd par exemple graduellement l’usage de la parole. Quant à notre jeune protagoniste, on observe chez lui quelque chose qui se rapproche de la décroissance de son habilité à communiquer, à se déplacer. Comme si l’instinct reprenait le dessus. Comme si la nature reprenait ses droits.


Quelques défauts malgré tout


Romain Duris, excellent en père moralisateur qui cite René Char à tout va, donne la réplique à une belle découverte, Paul Kircher. On ne peut guère nier combien ce tandem est diaboliquement touchant. Toutefois, si le jeu d’acteurs reste à saluer, on retrouve quelques maladresses comme cette fâcheuse bien qu’inoffensive manie des dialogues français à mentionner sans cesse les prénoms de personnages. Quelques manques sont aussi à signaler. Tout comme le chien Albert qui disparaît subitement de l’histoire (et qui aurait pu s'avérer un point de développement intéressant en tant qu’animal domestiqué, puisqu’il aurait incarné cette passerelle entre l’animal et l’homme), le personnage de l'agent de police d’Adèle Exarchopoulos aurait sans doute mérité d’être développé davantage. Malheureusement, il n’est pas d’une grande utilité si ce n'est qu'il sert à montrer la relative inaction des forces de l’ordre face au phénomène des créatures. Mais par-dessus tout, la fin laisse le public sur sa faim. Plutôt ouverte, elle invite peut-être à l’imagination en délégant au public la responsabilité de se figurer quelle fin serait la meilleure ; néanmoins, comme toute fin ouverte en général, elle incarne surtout une regrettable paresse, comme si cela témoignait d’une absence d’idée fixe de clôture de l’histoire. On peut penser que ce dénouement permet d’éviter un pessimisme complet. Y a-t-il un espoir de cohabitation entre hommes et créatures ? Cette interrogation résonne plus que jamais avec l’actualité.


Dans l'ensemble fort réussi et certainement émouvant, c'est en réinventant une mythologie que Le Règne Animal fait une incursion dans la psychologie, réfléchissant ainsi, sous couvert de fiction, à des enjeux intellectuels d’insertion, d’humanité et d’intégration. Bref, c'est une belle œuvre sur la nature, l’homme et la nature de l’homme.


Photo couverture ©Image du film. Tous les droits appartiennent et reviennent aux auteurs du film.

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