My Own Private Idaho ou l'art de dérouter
- RG
- 5 nov. 2024
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 11 mai
Le texte que vous vous apprêtez à lire n'est à proprement parler ni une critique ni même un article, c'est ce que j'appelle un « court-lettrage », un petit néologisme que je me suis autorisée à formuler pour désigner un petit écrit véhiculant une brève opinion brute, imparfaite et quelque peu déconstruite sur un film. S'affranchissant de toutes contraintes ordinairement imposées par les conventions journalistiques, ce format me permet d'employer la première personne et ainsi de m'exprimer plus librement, simplement, personnellement et même familièrement. Bonne lecture !
De l'Oregon jusqu'à l'Idaho en passant par l'Italie, deux amis toxicomanes et prostitués, Scott Favor (Keanu Reeves), fils du riche maire de Portland, et Mike Waters (River Phoenix), jeune narcoleptique traumatisé par la disparition de sa mère, sillonnent les routes à la recherche de cette dernière. À mi-chemin entre le road-movie et l'adaptation théâtrale, My Own Private Idaho est une surprenante odyssée anti-conventionnelle, déroutante et inattendue, qui se situe à rebours des romances traditionnelles hollywoodiennes. Deux ans après Drugstore Cowboy (1989), œuvre annonçant déjà My Own Private Idaho, Gus Van Sant réalise avec succès un film indépendant d'avant-garde sensible, s'inscrivant dans le mouvement New Queer Cinema des premières années 1990.
Attention, cette critique contient des spoilers !
Il ne fait aucun doute que My Own Private Idaho brille par son impertinence, transpirant la dissidence stylistique : c'est en somme, un film qui a de l’audace. Gus Van Sant ayant emprunté des répliques à Shakespeare (notamment d'Henry IV et Henry V), il est difficile de ne pas songer au savoureux Romeo + Juliet (1996) de Baz Luhrmann qui semble poursuivre cette réinterprétation absolument moderne de l’œuvre du dramaturge quelques années plus tard. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que cette esthétique de l'anachronisme prouve son efficacité chez Gus Van Sant tant le résultat est tout aussi étonnant que détonnant. Dans le film, Keanu Reeves interprète un jeune qui, dans l’attente de recevoir son coquet héritage, s’adonne à toutes sortes de cavaleries et caprices rebelles et déclame des monologues parfaitement théâtraux tous constitués de jolis mots, offrant à voir un contraste tout à fait intéressant.
L’ironie est on ne peut plus évidente. Fort de ses personnages pour le moins excentriques, le film alterne entre humour et mélancolie légère. À mon avis, ce n’est pas vraiment ce devant quoi l’on pleure malgré les drames de fond (addiction, pauvreté, famille brisée…). Si vous restez jusqu'au générique final, vous verrez que les crédits de fin laissent entrevoir quelques plaisanteries : on peut y lire « happy birthday lorenzo » ou « have a nice day ». Comme si le second degré adoucissait la dureté de la réalité diégétique. Ainsi le trop-sérieux artistique - que l’on pourrait reprocher à une partie du cinéma indépendant d’auteur - est ici atténué par cette liberté prise non sans réflexion. Le choix et l’agencement des plans ne sont jamais anodins ; que ce soit les timelapses de la maison maternelle désaffectée, les faux plans fixes où les acteurs, tels des statues antiques, sont immobiles mimant l’acte érotique, on sent qu'il ne s’agit pas seulement de révolutionner ou de bouleverser les canons esthétiques du cinéma classique, mais aussi bien de raconter une histoire atypique d’une manière créative et innovante. Bousculer pour sûr, mais bousculer avec brio.
Il est vrai que l’on a du mal à suivre la construction du lien émotionnel entre les personnages à cause du nombre important d'ellipses. C’est pourquoi la déclaration de Mike à Scott paraît paradoxalement aussi sincère que factice. L’amour est on ne peut plus est précaire. Cette maladresse adolescente, risible qu'elle est, se mêle à un désintérêt déconcertant des jeunes en difficulté, à une naïveté inconsciente exprimée par des paroles édulcorant le tragique de toute situation : par exemple, la narcolepsie de Mike n'est aucunement une source d'affolement. En fait, le film prend des airs de tragi-comédie en ce qu'il ne pousse pas au dramatique au contraire, il semble pencher du côté de la dédramatisation sans pour autant relativiser ce qui ne devrait pas l’être. C’est comme si tout était abordé avec une espèce de nonchalance et de distance, une pudeur caractéristique de cet âge. On ne se morfond pas, on se remet et ainsi va la vie. Ce faisant, le film montre cette succession d’étapes (ou plutôt de scènes et d’actes, comme dans une pièce de théâtre) comme le déroulement parfaitement normal des choses avec efficacité sans s’attarder.
Sur la route de l'Idaho, deux princes charmants des temps modernes (dont l'un est un beau au bois dormant et l'autre est une variante de Cendrillon), enfants de la rue, mi-amis mi-amants, chevauchent leur destrier de fer et ils ont vraisemblablement un look d'enfer.
Photo couverture ©Image du film. Tous les droits appartiennent et reviennent aux auteurs du film.
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