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Vanilla Sky : un mets cinématographique à déguster

  • Photo du rédacteur: RG
    RG
  • 5 janv.
  • 4 min de lecture

Dernière mise à jour : 11 mai

Le texte que vous vous apprêtez à lire n'est à proprement parler ni une critique ni même un article, c'est ce que j'appelle un « court-lettrage », un petit néologisme que je me suis autorisée à formuler pour désigner un petit écrit véhiculant une brève opinion brute, imparfaite et quelque peu déconstruite sur un film. S'affranchissant de toutes contraintes ordinairement imposées par les conventions journalistiques, ce format me permet d'employer la première personne et ainsi de m'exprimer plus librement, simplement, personnellement et même familièrement. Bonne lecture !


À New York, David Aames (Tom Cruise) est un riche et irrésistible éditeur à qui la vie sourit : son entreprise prospère, il pense même rencontrer l'amour de sa vie, l'adorable Sofia (Penelope Cruz). Quelle est la part de réalité dedans ? Entre vérité et réalité, mensonges et songes, Vanilla Sky (2001) vous projette dans de fallacieux et malicieux cieux. Ne vous laissez pas duper par la simplicité du synopsis : rien ne vous prépare au périple qu'il ne fait que modestement résumer.


Capharnaüm narratif orchestré avec brio, intelligemment déballé dans une esthétique surréalistement lisse ; mille-feuille aussi dense que croustillant superposant rêve et réalité qui s’entrelacent et s’embrassent ; tableau recouvert d’un vernis onirique où se confondent les couches narratives ; autant de formulations excessivement alambiquées, j’en conviens, pour finalement décréter ceci : ce film ne ressemble à aucun autre. À ceci près, en vérité, car il serait un remake d’un film d’Alejandro Amenábar, appelé Abre los ojos (1998). À creuser. Mais, concentrons-nous sur l’œuvre de Cameron Crowe.


Le film s’ouvre sur une galerie de brefs plans aériens, entrecoupés par des écrans noirs. La fragmentation s’annonce déjà. Une chanson de Radiohead, dont le titre Everything in its right place est évocateur, retentit. Je souris. Le ton est donné. Vanilla Sky est honnête, il ne vous révèle certes pas d’emblée les entourloupes qu’il vous réserve - à quoi bon sinon - , mais il a le mérite de vous montrer en quelques secondes un petit aperçu de ce qui vous attend. Aussi esquisse-t-il un horizon d’attentes encore vague, mais fort prometteur, en vous plongeant directement au cœur d’une étrange ambiance, aussi chaleureuse que troublante, que vous pourrez quitter si cela vous chante.


Je ne la quittai pas. Je fais en effet partie de ces gens qui ont été immédiatement happés par cette séduisante bizarrerie. À la première minute, je sus que je léguai mon attention et que j’acceptai de me laisser porter par une diégèse dont je ne connaissais encore ni tenant ni aboutissant, que le contrôle m’avait été ôté, qu’il m’était tenu hors de ma portée et qu’il fallait que je me laisse guider. Que je me laisse tromper, rêver, émerveiller, tomber. Cette concession est la condition sine qua non de l’appréciation du film. Faire chuter tout cerveau hypercognitif. Déchanter. Ne cherchez pas à comprendre, le film sait qu’il est plus intelligent que vous et vous vous devez de l’accepter pour apprécier.


Curieux objet qu’il est, Vanilla Sky est un film qui aime malmener et pour peu que cet amour de la perdition soit réciproque du côté du spectateur, ce dernier se plaira à ce que le film l’emmène aux bouts de ses rêves. Ou plutôt, au bout des rêves de David Aames, interprété par un époustouflant Tom Cruise au regard des plus éloquents. En le plus heureux des amoureux ou grimé en défiguré tantôt révélé tantôt siliconé, il arbore une pluralité de masques charnels, sculptant la matière d’un personnage équivoque aux multiples facettes. À mesure que le film se déroule, plusieurs Tom/David défilent sans que l’on sache lequel de ses avatars est le véritable. Séquence après séquence, les certitudes se détruisent et se reconstruisent successivement mais sans succès, érigeant une architecture scénique énigmatique sur laquelle danse une foule d’évènements et de sentiments qu’il nous faut laisser nous entraîner.


La texture onirique (hypnotique et pourtant pas soporifique) est palpable de partout, aussi bien dans le visuel avec la colorimétrie, qui peint l’atmosphère doucement apocalyptique, que dans l’audio avec la bande-son. Cette dernière est des plus singulières : diffusant des musiques qui semblent tout droit sorties d’une rom-com populaire, on se demande quel effet elle produit. De l’étrangeté. De la beauté. De la naïveté. De l’ambiguïté. Le film d’auteur prend parfois des airs kitsch qui pourraient faire grimacer les esthètes les plus sévères d'entre nous. La tournure des péripéties paraît improbable, tombe comme un cheveu sur la soupe. En fait, le film subjugue par son habilité à nous faire abandonner nos repères et nous encourage à lâcher prise sur la rationalité. Nous faire tomber de haut. Succomber à la fascinante Penelope Cruz et au charmant Tom Cruise qui semble s’être véritablement entiché de sa partenaire. Tout comme leurs patronymes s’étreignent dans l’homophonie, les visages des acteurs se répondent à l’écran, crevé par une alchimie inédite.


Certains pourraient penser que la fin fait péricliter le film. Facile, prévisible, elle est un déjà-vu, une chute topos cinématographique, et pourtant, elle n’entache en rien le périple que l’on a traversé. Délicat et ingénieux, le film est un puzzle qui joue sur le processus de mise en abyme (et d'inception, pourrait dire Christopher Nolan) qui nous propose implicitement d’en revenir à Freud et à son interprétation des rêves tout en faisant en sorte de ne jamais nous laisser trop d’indices dès le départ. Au sortir, point d’inquiétude, il n’y aura aucune frustration. Les clés vous seront remises, à vous de choisir quelle porte de l’interprétation vous voudrez pousser. C’est une œuvre qui ne plaira certainement pas à tout le monde : comme tout travail excentrique au goût bien prononcé, il ne suscitera que des opinions extrêmes. De quoi vous réconcilier avec le cinéma ou vous fâcher méchamment avec lui.


Simplement compliqué, Vanilla Sky se déguste comme un mets aux mille saveurs : avec gourmandise et sans modération. On aimerait volontiers y goûter pour la première fois encore et encore.


Photo couverture ©Image du film. Tous les droits appartiennent et reviennent aux auteurs du film.

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